Réguler la finance

d’après le livre « L’Illusion financière » de Gaël GIRAUD

Les marchés financiers et le système bancaire actuels, loin de représenter un atout pour la sphère économique et un outil permettant aux États d’assurer une juste et efficace allocation des ressources, représentent un véritable danger à court-terme si leur régulation très stricte n’est pas mise à l’agenda.

MUTUALISATION DES PERTES ET PRIVATISATION DES PROFITS

Le néolibéralisme et la primauté des marchés assurent aujourd’hui leur suprématie grâce au principe de mutualisation des pertes après des années de privatisation des gains. L’exemple de l’Irlande est criant. Alors que le niveau de dette publique de ce pays était de 25%, il a été contraint de nationaliser le secteur bancaire avec ses pertes et de voir son taux d’endettement public passer à 100% du PIB.

À l’image de ce qu’elle a fait avec Lehman Brothers, la spéculation est en train d’essayer d’abattre les États européens les uns après les autres. Ainsi les CDS grâce auxquels les marchés spéculaient contre la dette grecque, ont provoqué dans ce pays un effet boule de neige avec des prêts contractés à des taux supérieurs au taux de croissance ce qui a fait augmenter la dette plus vite que l’économie et étouffe le pays.

LA FINANCE FAIT PESER UN RISQUE INCONSIDÉRÉ AU NIVEAU MACROÉCONOMIQUE

L’innovation financière et l’effet de levier sont deux phénomènes illustrant particulièrement bien le risque que fait peser le modèle ultralibéral prônant une dérégulation de la finance au nom de la juste allocation des ressources par les marchés sur la stabilité macroéconomique.

En phase haussière le cycle du crédit permet un enthousiasme de la part des prêteurs et des emprunteurs qui amène des investisseurs à réaliser des effets de levier proche de 60 (acheter un actif de 100 avec 1,6 de capital) mais dès que le cycle se retourne, les effets de levier sont beaucoup moins importants et surtout ils se retournent contre ceux qui sont endettés et ne peuvent plus emprunter autant pour rembourser les dettes initiales. C’est le principe fondateur de l’ensemble des opérations de LBO (leverage buy-out) qui augmentent considérablement le niveau d’endettement du secteur privé, convaincu que les États viendront compenser les pertes en cas de retournement de la conjoncture.

L’ingénierie financière, de son côté cherche perpétuellement à supprimer le risque dans un domaine où celui-ci est inhérent. La finance crée continuellement de nouveaux produits pour réduire les risques. Mais comme le disait le patron de la Fed, personne, excepté une poignée d’ingénieurs et de vendeurs ne comprennent ces produits ce qui rend la situation très explosive au niveau systémique car les marchés sont dépendants d’une oligarchie. De plus créer un nouveau produit ne supprime pas le risque elle ne fait que le transférer vers d’autres épaules, c’est ce qu’il s’est passé avec les subprimes transmis de portefeuilles en portefeuilles selon le principe de la patate chaude.

Le débat aujourd’hui ne doit plus être posé selon l’utilité financière des différents produits issus de l’ingénierie boursière pour savoir si l’on autorise leur mise sur le marché mais leur utilité sociale.

UNE RÉGLEMENTATION STRICTE EST URGENTE ET IMPÉRATIVE

Une réglementation contracyclique

Les normes de Bâle III imposent l’instauration par les banques d’un coussin contracyclique. Mais il faut aller plus loin et la BCE pourrait par exemple tenir compte de l’inflation sur le marché immobilier et sur les marchés financiers pour l’instauration de son taux directeur ou alors établir des taux différents selon l’usage que les banques commerciales feront de la monnaie qui leur est prêtée.

Afin de limiter la privatisation de la liquidité, des chambres de compensation, financées par une taxe financière, doivent être installées sur tous les marchés de dérivés.

Limiter à 90% la titrisation d’une finance permet que la banque conserve une partie du risque et qu’elle surveille la solvabilité de l’emprunteur.

Ces mesures sont impératives pour la stabilité de la zone mais aussi pour le financement de la transition écologique, en effet il faut s’assurer que la monnaie interne créée ne sera pas immédiatement utilisée à des fins spéculatives.

La séparation des métiers bancaires

Il faut un nouveau Glass-Steagall Act, la loi de séparation bancaire adopté en 1933 et détricotée par Clinton en 1999. Les USA ont montré la voie avec la loi Volcker de 2010. Mais il ne suffit pas d’isoler les filiales d’investissement du reste de la banque car on l’a vu dans le cas d’AIG c’est une filiale pesant 3% qui a fait chuter la compagnie.

L’objectif est d’abord de préserver la stabilité des institutions financières et bancaires et d’autre part de protéger les dépôts des citoyens et donc les finances publiques. La scission des banques comme celle réalisée par Roosevelt semble la solution. Des personnalités du monde financier maintenant sorties du milieu, comme l’ancien directeur financier du Crédit Agricole, Gilles de Margerie, plaident en faveur de cette mesure.

Lutter contre la rente bancaire

Un autre argument est que les banques d’investissement, en cas de séparation avec les banques de dépôts, perdront la garantie de l’État et donc leur refinancement sera plus coûteux ce qui provoquera une hausse du coût du financement pour les grandes entreprises. Au travers de cet argument on perçoit le fond du problème, les banquiers ont privatisé le crédit dans nos sociétés et ne veulent à aucun prix réduire leurs bénéfices quitte à pénaliser l’activité économique. Il existe ainsi aujourd’hui une rente dont bénéficient les banques qui provient de la garantie de l’État mais dont seuls les actionnaires perçoivent les bénéfices. Encore une fois les gains sont privatisés alors que les pertes sont mutualisées. Des organismes indépendants estiment à 48 milliards le montant annuel de cette rente pour les banques françaises.

Lutter contre le gigantisme bancaire

Depuis le 1er janvier 2011, les banques françaises s’acquittent d’une taxe sur le risque systémique laquelle a été doublée par la LFR pour 2012.  Mais les sommes sont dérisoires comparées à l’argent que rapporte à ces banques le fait qu’elles soient protégées par les contribuables en cas de faillite. Cette taxe doit au moins être multipliée par 20 pour enfin avoir un effet et surtout pour faire baisser des rendements sur fonds propres qui sont de l’ordre de 15%/an ce qui est indigne dans une économie plafonnant à 1% de croissance.

Une question s’impose aussi et va plus loin, avons-nous besoin de ces banques gigantesque à l’utilité sociale plus que relative comme nous avons pu le voir ? Avons-nous besoin de leur existence alors que le risque qu’elles font peser est amplement plus grand au bénéfice social de leur activité ? Conclusion : nous devrions nous inspirer de la réforme Vickers menée en Grande-Bretagne et du rapport Liikanen pour séparer les activités bancaires tout en basculant dans la banque commerciale la gestion des grandes entreprises. Il y a moins d’une génération ces grandes entreprises étaient très bien traitées par ces banques. Séparer les activités bancaires sous-entend aussi la nécessité de redessiner les contours de l’activité bancaire, lui redonner ses lettres de noblesse.

Il est aussi urgent d’interdire totalement le pantouflage de la haute fonction publique dans le milieu bancaire car cela fait partie des causes de la faiblesse politique face au milieu bancaire, de nombreux hauts fonctionnaires ne voulant pas « se cramer » auprès de futurs employeurs potentiels.